Description
Cet élégant petit cabinet à deux-corps en noyer richement sculpté, mouluré et orné, inspiré du style Henri II, semble s’inscrire dans la lignée du mobilier conçu et dessiné par Pierre Manguin pour l’hôtel de la Païva.
La construction de cet hôtel particulier néo-Renaissance dédié à la gloire de sa commanditaire, Esther Lachmann dite Thérèse, marquise de Païva, une des grandes courtisanes du Second Empire, a débuté en 1856 sous la direction de l’architecte Pierre Manguin qui en fait l’une des plus luxueuses réalisations de l’époque. Héritier de Viollet-le-Duc et collaborateur de Prosper Mérimée comme architecte des Monuments historiques, Pierre Manguin s’est inspiré de la Renaissance, tant appréciée au milieu du XIXe siècle, pour concevoir jusque dans les moindres détails cet exemple somptueux d’unité de goût. Pour mener à bien ce projet il s’entoure de nombreux artistes, parmi lesquels Jules Dalou.
On retrouve dans le mobilier ainsi conçu et en parti connu, notamment par les nombreuses photographies prises par l’architecte lui-même, de nombreuses similitudes avec notre petit cabinet.
Bien que de conception et de proportions beaucoup plus modestes il reprend entièrement l’architecture d’un cabinet à deux-corps en bois richement mouluré, scuplté, orné de matériaux de couleurs et couronné d’un fronton. Parmi les modèles dessinés par Manguin pour cet hôtel quatre exemplaires sont connus, trois en ébène et un en noyer. L’un d’eux est aujourd’hui conservé au Musée des arts décoratifs à Paris, tandis qu’un autre se trouve au Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg.
Tous ces cabinets partagent des caractéristiques communes. Parmi celles-ci on peut noter que les montants de face du corps inférieur sont toujours à pans coupés souvent agrémentés de larges volutes feuillagées pour adoucir encore les angles, un principe que l’on retrouve sur notre cabinet. De même si tous ces meubles à deux-corps sont couronnés d’un fronton brisé laissant place à un petit édicule central, – parfois surmonté d’une statue – , notre cabinet adopte un fronton triangulaire brisé évoquant davantage ceux qui ornent les deux portes de la bibliothèque du Comte de l’hôtel de la Païva ou encore celui d’un meuble secrétaire Henri II photographié par Manguin dans le Salon des fournisseurs.
Autres caractéristiques communes que présentent ces cabinets : les corps supérieurs sont systématiquement flanqués de colonnettes, souvent corinthiennes comme pour notre meuble. Le dessin de ces dernières a la particularité de reprendre le motif du candélabre, motif cher à Manguin, comme les pilastres à panneau mouluré surmonté de cannelures qui cantonnent le corps inférieur de notre cabinet, ou encore les différentes agrafes, volutes ou feuilles d’acanthe sculptées, tous témoins d’une esthétique raffinée.
Comme les meubles de l’hôtel de la Païva, notre cabinet est enrichi d’incrustations de plaques de différents marbres ou pierres semi-précieuses qui jouent avec la couleur du bois et accentuent le côté précieux du mobilier. A l’hôtel de la Païva ces éléments sont complétés de plaques en bas-reliefs de bronze patiné ou doré sculptées par Jules Dalou.
Or notre cabinet présente sur le corps inférieur quatre bas-reliefs, non pas en bronze, mais en cuivre galvanique, signés « J. Dalou » ou « Dalou ». Ils figurent chacun une jeune femme vêtue à l’antique dans un drapé fluide et un traitement du corps qui évoque la manière de Jean Goujon. Chacune est représentée avec ses attributs, groupés à la base de la composition et complétés par un titre. Ainsi sur les deux vantaux l’Eloquence fait face à la Litérature (sic) tandis que de chaque côté la Science s’oppose aux Arts. Ces quatre plaques décoratives constituent des variantes de celles commandées par Manguin à Dalou en bronze pour orner les portes de la bibliothèque du Comte de l’hôtel de la Païva et qui sont toujours en place. Elles comptent parmi les premières œuvres que Manguin confie à Dalou, sur la recommandation de son ami Eugène Legrain et figurent parmi les rares œuvres qu’il signe sur ce chantier. Il les signe d’ailleurs avec la même variante entre « J. Dalou » et « Dalou » que celle qu’on trouve sur notre meuble. Elles sont datables des années 1864, date de la seule œuvre datée de Dalou sur place, à 1866, date de l’installation de la marquise. Les plaques en bronze présentent une forme rectangulaire avec un sommet arrondi en forme de coquille, tandis que celles de notre meuble sont parfaitement rectangulaires. La suppression de l’arrondi explique à lui seul la différence de taille entre les deux modèles. L’usage du cuivre galvanique, plus économique mais surtout plus léger que le bronze fondu, s’avère plus adapté pour les vantaux de notre meuble.
La présence de ces plaques signées de Dalou permettent de dater notre cabinet de la même période que celle des portes de la bibliothèque de l’hôtel de la Païva. On sait que Dalou travaille intensément entre 1864 et 1869, produisant notamment pour Manguin, disparu en décembre 1869. Bien que notre cabinet ne soit pas signé et sans posséder la qualité d’exécution des meubles réalisés pour cet hôtel, il s’en rapproche à un point tel que la paternité de Manguin ne fait guère de doute.
Il est donc vraisemblable qu’il a été commandé avant 1869, par un amateur éclairé, séduit par la splendeur de l’hôtel de la Païva.