Description
Le rapport entre sculpture et décoration traverse toute la carrière de Rodin et ne se limite pas seulement aux deux premières décennies du sculpteur (1860-1880). Son activité artistique s’exerce dans un dépassement des catégories et des cloisonnements convenus, à savoir : le dessin, les objets d’art, la sculpture « de Salon », la sculpture monumentale…. C’est Carrier-Belleuse qui, le 24 mai 1879, propose d’embaucher Auguste Rodin à la Manufacture de Sèvres comme collaborateur. Ce dernier n’aura de cesse d’exprimer toute sa créativité de dessinateur, de sculpteur, de décorateur dans l’art de la porcelaine, comme en témoignent ses chefs-d’œuvre Les seaux de Pompéi Le Jour et La Nuit (1881-82) (Sèvres, musée national de la céramique, MNC 8522 ; Paris, musée Rodin, S 2416). C’est en vue de l’Exposition universelle de 1889 que trois modèles du Vase Saïgon lui sont commandés à la fin de 1887 ou au début de 1888. À la différence des vases décorés dans la période précédente, ces vases d’édition n’ont jamais été travaillés directement par le sculpteur : celui-ci fournit à la Manufacture des vases ornés de bas-reliefs, sans doute en plâtre, lesquels sont moulés afin de permettre l’exécution de plusieurs exemplaires. Rodin reprend des motifs qu’il a préalablement élaborés pour sa Porte de l’Enfer afin d’en créer de nouveaux pour Sèvres. C’est en effet une partie du décor en bas-relief du piédroit de gauche de la Porte de l’Enfer que l’on reconnaît sur une face du vase et l’essai d’émaillage Les limbes que nous possédons aujourd’hui : deux personnages michelangelesques s’enchaînant verticalement, comme pour évoquer le sinistre défilé des ombres qui peuplent les limbes… Pour le second essai La Sirène, Rodin reprend de dos la figure en ronde- bosse de la Faunesse à genoux, autre figure de la Porte de l’Enfer. En transformant ses faunesses en sirènes, il ne fait que passer d’une créature monstrueuse à une autre, toutes deux associées à la duplicité, à la séduction et à la volupté : « …, et en peu d’instants, elle paraît à mes yeux aimable et séduisante. Alors, d’une voix harmonieuse et captivante, dont le charme m’enivrait, elle chanta ainsi : – je suis la douce sirène : au milieu des mers, les matelots ensorcelés s’égarent à ma voix. » (Dante, La Divine Comédie).
Avant de se lancer dans un décor important, Rodin, comme ses collègues décorateurs, procédait à plusieurs essais, notamment pour juger de l’accord entre la couverte et le modelé. Pour cela les émailleurs font varier la couleur, la texture et l’épaisseur de l’émail sur des portions de décor qui sont soumises au feu afin de tester leur réaction. Nos essais d’émaillage sont insérés, comme ceux du musée Rodin, dans de beaux montages en bois laqué réalisés en 1937 par Hamanaka, grand spécialiste japonais qui contribua à la diffusion de cet art en France.
On notera que les deux exemplaires du musée Rodin proviennent très probablement de la même origine à savoir Ernest-Simon Auscher, chef de fabrication à la Manufacture de Sèvres en 1879 et 1889, vraisemblablement l’auteur de ces deux essais.