ORPHELINE ALSACIENNE, VERSION A LA TÊTE DROITE (1869)

Auguste RODIN

Terre cuite à engobe ocre, signée et datée « Rodin / 1870″ au dos.
Circa 1870.

Hauteur : 28 cm – 0′ 11″ in.
Profondeur : 19.3 cm – 0′ 7⁵/₈ » in.
Largeur : 21 cm – 0′ 8¹/₄ » in.

Provenance : Collection Arthur Noël, Paris (par tradition familiale, acquis de l’artiste pour 200 francs entre septembre 1870 et janvier 1871); par descendance.

Bibliographie : C. Goldscheider, Rodin Catalogue raisonné de l’oeuvre sculpté, t. 1. 1840-1886, Wildenstein Institute, Paris 1989, modèles en plâtre et terre cuite référencés sous le numéro 35; F. Leseur « Rodin et Bruxelles, chronique d’une longue amitié », dir. R. Hooze, catalogue d’exposition – Bruxelles palais des Beaux-Arts, Bruxelles carrefour des cultures, 8 septembre – 5 novembre 2000, page 110.

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Description

L’Orpheline Alsacienne parfois nommée Petite Alsacienne ou Jeune Alsacienne est exposée pour la première fois à Bruxelles en 1871, c’est-à-dire peu de temps après l’arrivée de Rodin en Belgique. Ces six années de jeunesse passées à sillonner les Flandres en compagnie de Rose Beuret pour étudier l’art du pays ou copier les grands maîtres marquent sa véritable affirmation en tant qu’artiste. La gloire venue, il qualifiera ces moments de « jours les plus merveilleux et les plus heureux de (leur) vie ». Parmi la trentaine d’œuvres présentées dans quinze expositions, c’est bien cette sculpture qui remporte le plus franc succès ; première œuvre acceptée par un jury (à Gand, Salon de 1871), elle est exposée à plusieurs reprises en différents matériaux (marbre, plâtre ou terre cuite). Quelques différences apparaissent dans la disposition de la tête plus ou moins enfoncée dans le drapé du manteau qui couvre les épaules, les ornements du nœud, les pans bordés d’une frange. Cette représentation d’une enfant poupine et mélancolique séduit d’autant plus le public que son titre l’inscrit dans l’imagerie récemment née de la perte par la France des provinces de l’Est. Dotée d’une coiffe d’Alsace, elle rend ainsi hommage à ces provinces perdues. La critique est élogieuse : « délicieuse petite alsacienne » (Gazette de Bruxelles), « faite de rien, comme un croquis au crayon, et que beaucoup de pauvres diables envient à Charles Buls qui l’a acquise » (La chronique), « exquise de naïveté et de grâce avec son grand nœud de soie posé sur le front comme un papillon qui déploie ses ailes » (L’Écho). En un mot, « c’est la naïveté dans la grâce. La ravissante tête de petite fille ! » (Sulzberger). Exposée en février 1883, dans les salons de « l’Art », place de l’Opéra, à l’occasion de la tombola pour les inondés d’Alsace-Lorraine, l’Orpheline Alsacienne y est remarquée et décrite sous le qualificatif « d’un joli rêve de marbre » (Jacques de Biez).

Il faut remarquer la différence entre les plâtres et terres cuites à la tête droite, et les marbres pour lesquels la tête a été inclinée sur l’épaule, ce qui accroît l’aspect dolent de la figure. Le marbre de référence est conservé au musée Rodin (H. 38,5 cm). Il fut offert en 1878 par le sculpteur à son fidèle médecin et ami, le docteur Vivier pour l’avoir remercié d’avoir soigné Rose Beuret. Parmi les modèles en terre cuite, citons l’Orpheline alsacienne, version à tête penchée terre cuite recouverte d’un engobe ocre, ancienne collection Taxile Doat (1851-1939), vente en 1982 ; notre terre cuite, quant à elle, est connue d’après la tradition familiale et peut être estimée entre septembre 1870 et janvier 1871 au moment où Auguste Rodin, mobilisé travaille aux fortifications de la ville de Paris assiégée par les forces prussiennes. Elle est demeurée dans la même famille depuis son acquisition par l’arrière-grand-père du précédent propriétaire « quelques semaines après l’été 1870 ».

Sa réapparition sur le marché est en soi une véritable découverte. Notons que plusieurs exemplaires en terre cuite figurent dans différentes expositions de 1871à1882 .Notre exemplaire se distingue par un traitement très détaillé de l’arrière de la coiffure, représenté en plusieurs boucles de la coiffe ornées de petites franges, la plupart des autres plâtres et terres cuites ne présentant qu’un dos lisse et sans détails. On connaît également plusieurs exemplaires en plâtre, l’un conservé au musée Rodin (Inv. MR S.821 – Donation Rodin, 1916), un plâtre patiné façon terre cuite conservé au Fine Arts Museums de San Francisco (Inv. 1992-2 – Acquis en 1992), un autre aux Stanford University Art Gallery and Museum (Inv. 1986.187).

En dehors de sa portée patriotique sous-jacente, la figure séduit par toute la douceur enfantine et la mélancolie qu’elle dégage. La coiffe alsacienne typique, habituellement reconnaissable par sa rigidité en forme de nœud, s’est ici judicieusement adoucie pour mieux laisser respirer ce beau visage d’enfant (peut-être, comme parfois évoqué mais non confirmé, celui d’une jeune enfant aperçue en 1863 par Rodin dans une procession à Strasbourg). Considérée comme l’un des premiers grands succès du sculpteur, L’Orpheline Alsacienne est un touchant témoignage des prémices de son art.