MATER DOLOROSA (ESQUISSE) (1869)

Jean-Baptiste CARPEAUX

Rare terre cuite d’édition du vivant de l’artiste signée « JBt Carpeaux » et daté 1874
Porte les cachets à l’aigle impériale Propriété Carpeaux ainsi que le cachet de « ATELIER & DEPÔT / 71 RUE BOILEAU / AUTEUIL PARIS ».
H. 70,5 x L. 50 x P. 30 cm
Circa 1874

Bibliographie : M. Poletti, A. Richarme, Jean-Baptiste Carpeaux sculpteur : catalogue raisonné de l’œuvre édité, Paris, 2003, p. 135, modèle référencé sous le n° BU 33. Sous la direction de Édouard Papet et James David Draper, Carpeaux 1827-1875 Un sculpteur pour l’empire, exposition : New York, The Metropolitan Museum of Art 10 mars – 26 mai 2014, Paris, musée d’Orsay 24 juin – 28 septembre 2014, pages 251-252.

VENDU

 

 

Description

Fin 1869 : Carpeaux sculpte une tête censée exprimer le chagrin de la Vierge pendant la Passion, mais inspirée par un fait vécu. On doit à Louise Clément-Carpeaux le récit de cette genèse insolite : « […] ayant rencontré au square de la Trinité son modèle Jacintha pleurant la mort de son fils, il la faisait monter en voiture avec lui et la ramenait à Auteuil. Là, laissant parler la jeune mère qui, entre ses sanglots, lui conte l’agonie de son enfant, le statuaire exécute, en deux heures, le buste douloureux de la Mater Dolorosa. » On peut imaginer l’intensité psychique de cette séance de pose durant laquelle le sculpteur voit son génie catalysé par la souffrance de cette femme, libérée par l’expression de sa détresse.

L’expression Mater Dolorosa est tirée d’un hymne du XIIIe siècle, le Stabat Mater Dolorosa (la Mère, toute douleur, se tenait debout) : il décrit l’angoisse de la Vierge Marie alors qu’elle observe son fils crucifié. Au XIXe siècle, alors que le romantisme met en exergue l’humanité du Christ et ses émotions, le culte marial connaît un renouveau. La Vierge revient à l’honneur dans l’art et la littérature. Dans un chapitre du roman Les Mohicans de Paris (1855), intitulé « Stabat mater dolorosa », Alexandre Dumas met en scène une mère affligée, « l’incarnation de la douleur muette, immobile et sourde, de la douleur chrétienne avec son expression sublime de patience et d’abnégation ».

Longtemps, Carpeaux a projeté de créer une statue qu’il appellerait La Douleur. Au moment de concevoir la Mater Dolorosa, il emprunte largement aux modèles académiques en s’inspirant notamment du traité de Charles Le Brun sur la physiognomonie. Cette théorie, qui remonte au XVIIe siècle, est alors enseignée à l’École des Beaux-Arts, où les élèves sont priés de démontrer leur talent à restituer les passions humaines lors du concours de la « tête d’expression ». Carpeaux ajoute une larme, discret renvoi à l’hymne médiéval où la Vierge est en pleurs.

Nous sommes face à une terre cuite pétrie de dynamisme, à laquelle le sculpteur a travaillé avec une fièvre constante comme dans toutes ses oeuvres préliminaires en terre, cuite ou crue ; il nous livre ici tout son talent de modeleur qui laisse apparaître chaque pli d’étoffe, chaque ride d’expression, chaque animation du regard. Elle contraste de fait avec l’exécution du modèle en marbre qui se veut plus aboutie et définitive, réalisée dans les années 1869-1870 et dont un des plus beaux exemplaires provient de la collection Fabius (marbre, 1ère épreuve, signé et daté « Jean-Baptiste Carpeaux 1870 »). Amélie Carpeaux fera don d’une version en plâtre à l’église d’Auteuil.

L’essentiel de l’édition est constitué par la terre cuite dont il existe peu d’épreuves. Madame Carpeaux précise en 1882 qu’aucun tirage n’a été fait depuis la mort du sculpteur. Par conséquent, notre terre cuite fait partie des rares tirages en terre cuite exécutés uniquement du vivant de l’artiste.