Description
L’existence de l’œuvre sculpté d’Ernest Meissonier, artiste célèbre pour ses peintures de scènes militaires, ne fut révélée qu’après sa mort, en 1893, par deux expositions : l’une à la galerie Georges Petit, l’autre à l’Ecole des Beaux-arts. Cette activité qu’il gardait pour lui et qui lui procurait « une ivresse immédiate de créateur » n’avait pour but que de préparer ses tableaux afin de les rendre le plus réaliste possible. Sa recherche de précision quasi-scientifique va ainsi le conduire à la réalisation de maquettes en cire qui, par leur malléabilité et leur représentation tri-dimensionnelle, lui permettront de mieux appréhender les mises en situation, les mouvements et les jeux de lumière dans ses tableaux.
Il aurait commencé à utiliser ce procédé dès 1848 mais le fait de manière systématique à partir de 1860 pour la préparation de ce qui sera sa grande ambition : peindre l’épopée napoléonienne en cinq toiles. Dans ce but, dix-neuf statuettes en cire, presque toutes équestres, seront réalisées avec autant de précision que si elles étaient destinées au moulage alors qu’Ernest Meissonier n’a jamais envisagé de les faire éditer. A sa mort elles ont été réparties entre sa seconde femme et ses enfants nés d’un premier mariage : Thérèse et Charles. Ces derniers ont ensuite cédé leur droit de reproduction à la galerie Georges Petit qui a décidé d’en faire éditer certaines en bronze en s’adressant au fondeur Siot-Decauville. Parmi celles-ci figure le Voyageur également appelé Cavalier dans le vent, Maréchal Ney ou Napoléon pendant la retraite de Russie. Cette sculpture est sans doute la plus connue de Meissonier. Elle représente un cavalier coiffé d’un bicorne qui lutte péniblement avec sa monture pour avancer contre le vent. L’homme, la cape enflée, est penché contre l’encolure de l’animal, de manière à compenser l’effort de ce dernier qui avance tête baissée, crinière et queue agitées par les éléments. Bien que l’homme ne soit volontairement pas clairement identifié, la mise en scène fait indiscutablement penser aux terribles conditions que les officiers de l’Empire ont traversées durant la campagne de Russie. L’effet dramatique ainsi produit n’exclut cependant pas une étude très poussée de la réalité et de l’anatomie des antagonistes.
L’examen du modèle original en cire, aujourd’hui conservé au Musée d’Orsay, révèle tout le soin avec lequel l’artiste a cherché à imiter le réel, mêlant à la cire une petite réduction en plâtre du squelette du cheval, une cape en tissu gonflée pour donner l’illusion du vent, des rênes en cuir, et une armature métallique pour soutenir l’ensemble. La traduction en bronze fait apparaître un modelé vigoureux tant dans la musculature du cheval que dans le bouillonnement de la cape du voyageur, qui en accusant les jeux d’ombre et de lumière souligne l’effort du cavalier et de sa monture pour lutter contre les éléments.
Le modèle date probablement de 1878, puisqu’il a été établi que les maquettes en cire étaient le point de départ des œuvres peintes, servant à Meissonier seules ou comme éléments d’une composition plus importante (Antoinette Lenormand, op. cit., p. 133). Or la première œuvre graphique représentant un cavalier luttant contre le vent, Coup de vent, date de 1878. Plusieurs œuvres sur le même sujet suivront pour aboutir aux tableaux de 1880 et de 1886, connus par d’anciennes photographies et reprenant le principe de cette composition avec quelques variantes, jusqu’à un tableau Coup de vent resté inachevé en 1891.
L’édition en bronze par Siot-Decauville, quant à elle, a débuté en 1894. Cette fonderie était réputée pour la qualité de ses patines cherchant de nouveaux tons dus à de légères oxydations à froid et que le temps ne pouvait altérer. Le tirage a été limité à 50 exemplaires avec l’inscription d’un numéro de tirage sur la terrasse, ce qui est relativement nouveau, peut-être une exigence de Georges Petit à l’origine de l’édition ? Le modèle ayant eu beaucoup de succès, 46 épreuves auraient été fondues et très vite acquises, dès 1895, par des musées nationaux tels que Lille et Bordeaux. Le catalogue commercial de la fonderie publié à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 révèle que l’œuvre est toujours éditée à cette période. Elle le sera sans doute jusqu’à la fermeture des portes de la fonderie en 1926. Notre exemplaire portant le n° 36 a probablement été fondu entre 1910 et 1920.