du 16 novembre au 13 janvier 2024

C’est une exposition rugissante que vous propose en ce mois de novembre la galerie Nicolas Bourriaud. Tous nos félins – lion, jaguar, panthère, tigre, chat … – sont réunis et forment pour l’occasion une extraordinaire fauverie de bronze.  Le félin est une formidable machine agencée pour la sauvagerie : force et souplesse, squelette et muscles, ensemble de ressorts qu’aucun parasite ne vient perturber. Chez nul être, les formes n’expriment plus complètement les forces internes ; chez aucun, la correspondance entre tous les mouvements n’est aussi sensible, de la mâchoire, qui broie, aux pattes qui s’arc-boutent sur le sol. Il a su fasciner de tous temps peintres et sculpteurs. Antoine-Louis Barye (1795-1875), formé lui-même au jardin des Plantes, a su en analyser le jeu et le mouvement avec une frémissante évidence. Son génie est dynamique comme en témoignent les treize sculptures de l’exposition, toutes fondues du vivant de l’artiste : Lion assis numéro 1 (1847), Panthère couchée, Jaguar dévorant un agouti, Tigre qui marche (sur plinthe) (1841), …

Dès le début du XXe siècle, une pléiade de sculpteurs va lui succéder au Jardin des Plantes. Parmi eux, le célèbre FrançoisPompon (1855-1933) dont nous exposons une fascinante Panthère noire (1922-1924),  sublime de stylisation et de force d’expression. Représentée en marche, les pattes tendues et les yeux fixes, elle semble se mouvoir dans l’espace qui l’entoure. Co-créateur du groupe des Douze avec Jane Poupelet, Pompon entraîne dans son sillage d’autres sculpteurs tels que Paul Jouve (1878-1973) qui aime à fréquenter les abattoirs pour se perfectionner en anatomie ; représenté ici par un puissant Tigre de Java mangeant un sanglier, exposé au salon de la société nationale des Beaux-Arts en avril 1914, le sculpteur exprime au travers de sa recherche de composition toute son admiration pour le Tigre dévorant un gavial de Barye exposé au Salon de 1831. Roger Godchaux (1878-1958) quant à lui collectionnait Barye. Ses félins sont commandés par la force qui les anime, comme en témoigne sa captivante Panthère couchée. Son confrère Georges-Lucien Guyot (1885-1973), nous livre un modèle au sujet pittoresque : la Panthère aiguisant ses griffes ; exceptionnelle dans l’expression de sa puissance, elle semble défier le tronc rugueux sur lequel elle s’étire de tout son poids.

Bien qu’handicapé d’un bras, Maurice Prost (1894-1967) réussit le tour de force de sculpter malgré tout ; sa Panthère sur une branche est un modèle rare dont seuls douze exemplaires ont été recensés à ce jour. Il a tenu à l’éditer personnellement et en a contrôlé tout le processus de fabrication. Souvent comparé à Pompon, Armand Petersen (1891-1969) a lui aussi une prédilection pour les félins, parce que l’homme ne les a pas domestiqués, qu’ils sont libres, beaux et cruels. Orfèvre de formation, il possède un sens aigu de la précision : toujours saisis sur le qui-vive, prêts à bondir ou l’oreille tendue, ses animaux sont souvent des modèles élégants comme cette Panthère se léchant (1931) délicatement recroquevillée sur elle-même.

Tous ces félins évoquent les jungles exubérantes, les déserts brûlés où ils ont été capturés ; plus près de nous, le chat, ce félin domestiqué, se profile au travers de deux rares sculptures de Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) fondues par Hébrard. On connaît la vénération de cet artiste montmartois pour les chats. Il s’est souvent inspiré de la posture de la déesse Bastet dans la mythologie égyptienne ou des estampes japonaises. Preuve s’il en est de la richesse et de l’importance de ce thème cher aux artistes que je souhaite vous présenter aujourd’hui en tant que spécialiste de la sculpture des XIXe et XXe siècles.

Nicolas Bourriaud