
du 15 au 20 mars 2025
La Tefaf est unique, exceptionnelle ; c’est pour cette occasion si spéciale que j’ai réuni aujourd’hui mes plus belles sculptures des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Commençons par ce précieux buste de Nicolas-François Gillet, Hébé ; particulièrement virtuose pour la délicatesse de ses sculptures sur marbre, Nicolas François Gillet qui a longtemps séjourné en Russie au siècle des Lumières, revisite ici l’Antiquité avec volupté et souplesse, ouvrant la voie à l’idéal de la sculpture néo-classique. Temps fort de cette sélection, un magnifique et rarissime bronze à quadruple patine de Jean-Baptiste Carpeaux Pourquoi naître esclave n°1 (1868) . Contenu par des liens, le buste reste totalement immobile, tandis que le cou, le visage et les cheveux échappent violemment aux entraves. Le sculpteur s’exprime ici sur un sujet d’actualité qui lui tient à cœur, l’abolition de l’esclavage. Moins de dix épreuves par décennie, en bronze ou en terre cuite dans les deux dimensions, sont apparues avec le cachet de la propriété Carpeaux. Seuls trois autres bronzes n° 1 sont recensés dans des musées américains, d’où le caractère extraordinaire de cette découverte majeure pour l’œuvre de Carpeaux. Par un heureux hasard, j’ai pu acquérir une autre sculpture du même artiste Le Prince impérial et son chien Néro (1865), cette fois-ci dans un matériau en bronze d’aluminium, fonte de Paul Morin. Seuls deux exemplaires du Prince impérial en fonte d’aluminium par Paul Morin, médaillé d’or à l’exposition universelle de 1867 sont recensés : l’un non signé et sans marque de fondeur est conservé dans la famille de Paul Morin, et l’autre, le nôtre signé, a été fabriqué pour l’impératrice Eugénie. Il s’agit d’un prestigieux souvenir historique qui vient enrichir notre section de sculpture XIXe. Autre belle provenance, un petit cabinet en noyer de style néo-renaissance probablement dessiné par Pierre Manguin, l’architecte de l’hôtel de la Païva, et orné de quatre plaques en galvanoplastie de Jules Dalou variantes des plaques décoratives qu’il a précisément réalisées pour les portes de la bibliothèque de ce fameux hôtel. De Meissonier, son célèbre Voyageur une fonte posthume, comme toutes les éditions en bronze de ses maquettes en cire, qui traduit admirablement la lutte pénible du cavalier et de sa monture pour avancer contre le vent qui souffle.
Autre grand nom de la sculpture, Edgar Degas représenté ici par une Danseuse ajustant l’épaulette de son corsage. Ce grand peintre a su rivaliser avec les plus grands statuaires. Notre exemplaire possède toutes les caractéristiques des belles fontes Hébrard, notamment cette belle patine brun clair qui laisse transparaître la douceur du modelé de la cire originale. Autre découverte, une terre cuite originale signée Labatut, Saint Jérôme. Cet artiste injustement oublié a su transmettre dans cette silhouette recueillie sur elle-même toute la tension de la méditation sur un simple crâne, qui se veut être le siège de l’âme. D’une intensité comparable, citons le bronze de Jean Escoula, La douleur (vers 1890). La précision du modelé de ce visage, la torsion particulière du cou lui confèrent une puissance frappante. Les cheveux largement traités et les muscles tendus, creusés, déterminant de rudes contrastes évoquent quant à eux les recherches contemporaines de Rodin. Là encore, les épreuves en bronze demeurent plutôt rares à ce jour, seuls deux exemplaires sont connus, notre exemplaire et celui du musée de Valenciennes. Néo-baroque et Art Nouveau, la sculpture de Raoul Larche est très appréciée de son temps pour ses lignes fluides et ses formes tourbillonnantes, notamment ses différentes représentations de la danseuse Loïe Fuller dont il rend superbement les voiles. De cet artiste, nous présentons un chef-modèle Les Violettes (1899), sans conteste le premier manifeste sculptural Art Nouveau de l’artiste.
N’oublions pas les sculpteurs animaliers ; bon nombre d’entre eux sont au rendez-vous : Charles Artus, Mateo Hernandez, Alfred-Auguste Janniot, Marcel Lémar … On retiendra une pièce unique un Capybara en pierre marbrière de Bourgogne d’un artiste d’origine lituanienne Anton Joutsaytis réfugié à La Ruche, qui fait partie de la première génération d’artistes qui constitueront ce qui sera désigné plus tard comme l’Ecole de Paris et dont les oeuvres sont elles aussi extrêmement rares. C’est en compagnie de cet animal sympathique que je souhaite clôturer ce bref tour d’horizon, qui je l’espère saura surprendre collectionneurs et conservateurs présents sur cette superbe foire. Nicolas Bourriaud